Cafouillage au Bourget. La sortie du nouveau texte initialement prévue hier en

Climat

La COP21 vécue de l’intérieur

Cafouillage au Bourget. La sortie du nouveau texte initialement prévue hier en début d’après-midi a été repoussée dans la soirée. Bilan : si rien n’est définitivement fixé avant la clôture de la conférence, prévue aujourd’hui, ce qui reste sur ​​la table n’est tout simplement pas à la hauteur. Les objectifs de réduction des émissions sont beaucoup trop bas : ils ne nous maintiendront pas en dessous de 1,5 degré de réchauffement. Nous assistons à une démonstration d’impuissance d’envergure internationale.

Énième texte, énième déception

Décidément, cette conférence ne peut tout simplement pas dire les choses comme elles sont : nous devons arrêter le pétrole, le charbon et le gaz d’ici à 2050 au plus tard. Or, le point clé dans le énième nouveau projet d’accord parle de « neutralité des émissions de gaz à effet de serre ». La seule mention des « énergies renouvelables » concerne l’Afrique… Et le texte ne met personne dans l’obligation de revenir à la table des négociations avec des objectifs de réduction plus ambitieux. Au lieu de prendre le problème à bras le corps aujourd’hui, on repousse les échéances à 10 ou 15 ans. Concrètement, si vous voulez investir dans une nouvelle mine de charbon, le texte tel qu’il est ne donne aucun élément pour vous en dissuader. Bref, seules les options les moins ambitieuses restent encore sur la table.

Les derniers arbitrages sont attendus dans la journée, prolongeant l’attente des différents observateurs réunis ici, invités à patienter gentiment. L’occasion de présenter la délégation internationale de Greenpeace présente à cette COP21, et de recueillir les impressions des différents chargés de campagne du monde entier réunis ici.

Une délégation éclectique

Ce seront en tout 62 personnes qui auront passé l’entrée de la rue de Rocroy, à Paris, où la délégation internationale de Greenpeace a établi son QG pendant ces deux semaines. Des chargés de campagnes, des directeurs de projets, des équipes digitales, des chargés de communication, des chargés de logistique (les plus précieux), des chargés de support informatique, des chargés de mobilisation, des conseillers politiques… Des hommes et des femmes engagés surtout, en provenance aussi bien de Chine que des États-Unis, de Russie que des Philippines.

Réunion pour tout le monde à 7h30 chaque matin, pour faire le point sur le déroulé des négociations, distiller l’agenda du jour et décanter le cadrage politique, ajuster enfin les différentes notes de notre discours collectif, le ton de nos messages. Et parier sur le moment où le texte de l’accord serait enfin signé par toutes les parties. Nous avons tous donné une date, un horaire à la minute, et trois euros.

Inside job

Puis direction le Bourget, où nous occupons l’une des longues tables qui strient l’immense centre de négociations, toujours la même, dans un angle de la mezzanine spacieuse au dessus du «media center » où travaillent des journalistes de toute la planète. Toute la journée ce sont des mails en cascade, des informations qui filtrent, des réactions, des discussions à la volée, des réunions avec « les filles du RAC », le Réseau action climat, qui font un travail d’analyse remarquable, et toutes les autres ONG membres du Climate Action Network, le « CAN » pour les intimes. Le temps passe à une vitesse incroyable. Il faut rester dans le rythme coûte que coûte. Les uns et les autres vaquent à leurs occupations.

Il y a le travail d’influence, essayer d’établir des contacts avec les délégations officielles pour obtenir des informations pertinentes et porter nos demandes, il y a les actions qui s’organisent au sein du centre, il y a les conférence de presse à tenir régulièrement, les interviews qu’il faut organiser pour faire circuler nos messages, les réseaux sociaux à alimenter pour tenir nos audiences informées et les décideurs sous pression, le lien avec l’extérieur à maintenir…

Pourquoi Greenpeace est-elle présente à la COP ? D’abord pour représenter avec d’autres la société civile, pour la montrer dans les couloirs et sur les écrans officiels, faire sentir aux délégations qu’elles sont observées. Ensuite pour obtenir des informations importantes, qui nous permettent d’être précis et efficaces dans nos campagnes et tenir au courant les personnes qui nous soutiennent. Enfin pour éviter au moins que des reculs majeurs aient lieu et s’assurer d’un niveau minimal de transparence dans ces jeux diplomatiques. Autrement dit, pour tenir bon sur le rapport de force.

Avant le clap de fin, la Gazette donne la parole à quelques-uns des militants pris dans ce tumulte feutré, afin qu’ils nous livrent leurs premières impressions sur cette COP21.

Faiza, Pays-Bas

Faiza, chargée de campagne UNFCCC © Christophe Calais / Signatures / Greenpeace

Faiza a d’abord commencé par la politique, dans le parti des verts néerlandais. Puis elle s’est dit que les ONG étaient certainement plus en capacité de faire changer les choses sur le front écologique. En 2011, elle commence par se consacrer à la campagne Save the Arctic, ce qui lui a valu quelques dures journées dans les geôles de Vladimir Poutine, suite à l’arraisonnement de l’Arctic Sunrise par la marine russe en 2013, avant de suivre les discussions onusiennes sur le climat.

C’est sa première COP. « C’est massif et intense, et je suis contente d’être entourée d’une grande équipe, ne serait-ce que pour être capable de suivre ce qui se passe », admet-elle. Elle refuse d’être complètement cynique : « L’état d’esprit a changé. Nous n’en sommes plus au stade où il fallait se battre pour admettre la réalité du changement climatique au niveau diplomatique : nous en sommes au stade où nous nous battons pour mettre en œuvre les solutions qui permettent de l’arrêter ».

Bilan de cette COP ? « Il reste un trou béant entre les objectifs reconnus par tous et les efforts concrets mis sur la table. Mais la transition vers les renouvelables est déjà à l’œuvre dans les sociétés, ne serait-ce que pour des raisons économiques, quoiqu’il se passe dans ces sommets internationaux. Ça tient l’espoir éveillé ».

A l’avenir, « il va falloir s’attaquer aux questions du transport et de la mobilité. Le fait qu’aucune de ces questions ne soit évoquée dans le texte d’accord montre l’ampleur du pouvoir des lobbys industriels. » Son meilleur souvenir de ces deux semaines ? Dimanche dernier à Montreuil, lorsqu’elle a pris place sur l’une des 196 chaises fauchées aux banques coupables d’évasion fiscale.

Naomi, Etats-Unis

Naomi, juriste chez Greenpeace USA © Christophe Calais / Signatures / Greenpeace

Regard espiègle et sourire permanent, Naomi est avocate de métier. Elle a décidé de mettre ses compétences juridiques au service de la défense de l’environnement en intégrant Greenpeace il y a un an environ. Elle travaille notamment sur une campagne décisive : comment rendre les entreprises du secteur fossile juridiquement responsables des dérèglements climatiques ? Au Bourget, elle a notamment suivi les discussions sur la question des pertes et dommages irréversibles infligés aux populations par les catastrophes climatiques.

Pourquoi Greenpeace ? Parce que ses parents lui ont toujours dit que le droit ou la politique étaient les meilleures voies pour changer les choses, et qu’elle veut changer les choses sur le plan environnemental. Or Greenpeace est aujourd’hui l’une des organisations les plus en pointe sur la question de la justice climatique.

Pour elle, « la COP de Paris est plus positive que celle de Copenhague : au moins on va avoir un accord, sur lequel on va pouvoir travailler. » Elle regrette simplement l’entêtement de la position américaine : « C’est la nation la plus riche et la première responsable du réchauffement climatique. Et malgré cela, ses engagements en matière de soutien financier pour l’adaptation des pays en développement restent extrêmement timides ». Pour autant, « Obama a enfin commencé à travailler avec les associations et à se montrer sensible à l’agenda écologique. À Copenhague, il n’avait absolument rien fait pour avoir un accord. Les choses évoluent dans le bon sens. »

A l’avenir, il faudra selon elle accroître au maximum la pression sur l’industrie des énergies fossiles, afin que les ressources encore sous terre ne soient pas exploitées. « Cette industrie est encore beaucoup trop puissante, politiquement et économiquement. C’est elle qui bloque une transition vers les énergies renouvelables. Elle doit être notre cible principale dans les années qui viennent. »

Son meilleur souvenir de ces deux semaines à Paris ? « Certainement pas la CAN Party (la fête organisée chaque année par le Réseau action climat entre les deux semaines de négociations) : la musique était horrible. Aucun morceau de ces cinq dernières années. Caricatural ! » Elle réfléchit, tente une option, se ravise : « Je pense qu’il n’a pas encore eu lieu, encore ».

Paolo, Brésil

Paolo, conseiller stratégique pour Greenpeace international © Christophe Calais / Signatures / Greenpeace

Visage buriné, yeux sûrs et parole rare, Paolo est une légende de Greenpeace. L’un des personnages qui tiennent son histoire et porte sa mémoire. Tout le monde semble le connaître, aux tables des ONG. Il est entré chez Greenpeace voilà 23 ans. Ou plutôt : il a fondé l’antenne de Greenpeace au Brésil, dont il a dirigé la campagne cruciale contre la déforestation en Amazonie. Il est désormais l’un des stratèges de Greenpeace International.

Pour lui, pas question de tortiller : « Il nous faut un accord pour sauver l’avenir des générations futures. Le temps joue contre nous et nous continuons de le gaspiller. Cela ressemble à un slogan mais c’est malheureusement vrai. Tous les jours des gens meurent à causes des désastres environnementaux provoqués par les changements climatiques. » Son bilan de la COP21 est à ce titre mitigé : « Un changement culturel a lieu. Les climatosceptiques ne font plus vraiment partie du jeu, ils ont perdu toute leur crédibilité. Nous cherchons maintenant à imposer des solutions. La seule question est celle du rythme auquel elles s’imposeront ».

Pour Paolo, si l’accord n’est pas satisfaisant, c’est d’abord parce que « l’exercice est très, très compliqué. Vous devez parvenir à un accord qui permette à la fois aux toutes petites îles du Pacifique de ne pas sombrer sous les eaux, et de préserver les intérêts économiques d’une superpuissance comme les Etats-Unis. Quel dirigeant peut revenir devant son peuple et admettre qu’il a dû céder sur le terrain économique au profit d’autres acteurs, par exemple ? C’est très difficile, cette diplomatie du consensus. La solution viendra des rues. Il faut construire de vastes mouvements dans chaque pays ». Il regrette d’ailleurs que les attentats de Paris aient servi à museler la société civile : « Ses représentants ne sont pas vraiment là, même dans les couloirs de la zone bleue ».

Concernant le Brésil, pas grand-chose à dire. Le pays ne va ni faciliter ni empêcher l’accord. Mais il manque clairement d’ambition. « Sur la déforestation notamment, qui est l’une des causes principales du réchauffement climatique. Le Brésil a annoncés ici l’objectif de stopper la déforestation illégale en 2030. Cela signifie qu’il admet tolérer la déforestation illégale pendant quinze ans encore sur son territoire. C’est incroyable. D’autant que les types qui négocient ça en ce moment ne seront plus au pouvoir dans 15 ans ! Cela n’a aucun sens. »

Pour lui, à l’avenir, il va falloir « protéger les protecteurs », comme les populations indigènes, qui sont les vrais gardiens de la forêt amazonienne. De même qu’il va falloir développer la notion « d’intégrité de la biodiversité, qui ne figure malheureusement pas dans ce texte, si nous voulons garder la vie humaine vivable ». Et pour Greenpeace, commencer à s’intéresser un peu à la question de l’eau, recommencer à se soucier plus fortement de la paix.

Pujarini, Inde

Purjirni, chargée de camagne énergie © Christophe Calais / Signatures / Greenpeace

Pujarini a rejoint Greenpeace il y a un peu plus de deux ans. Elle s’occupe notamment de promouvoir les énergies renouvelables en Inde. Elle a rejoint cette association pour sa faculté à combiner tous les aspects qui font une bonne campagne : le travail scientifique, médiatique, numérique, la robustesse des actions, la finesse d’analyse politique…

Son avis sur la COP21 ? « La présidence française a très bien huilé tout ça. Notamment en réussissant l’exploit de réunir des dirigeants politiques importants lors de tous les rounds de préparation à Bonn, avant la COP proprement dite. » Pour autant, « ces négociations ont malheureusement été sous-tendues par des enjeux géopolitiques, comme d’habitude. Et l’on reste dans l’hypocrisie totale : on parle désormais d’un objectif de long terme à 1,5°C, alors que les contributions nationales, qui sont à peu près la seule base concrète de l’accord, nous placent sur une trajectoire de +3, voire +4°C. »

D’après elle, son pays joue un rôle positif. « Contrairement à ce que disent les médias occidentaux, l’Inde joue un rôle plutôt convaincant. Elle a accepté de reconnaître le seuil des 1,5°C. En outre, elle tente déjà de déployer des énergies renouvelables sur son territoire. Mais son premier objectif, légitime, est de sortir 300 millions de gens de la pauvreté et il est assez logique qu’elle demande un soutien financier conséquent de la part des pays riches. »

A l’avenir, la priorité demeure pour elle de corriger les dérives climaticides du capitalisme : amplifier la campagne de désinvestissement des industries fossiles et instaurer une taxe carbone mondiale. Concernant Greenpeace ? Développer « des campagnes autour de la question féministe et emmener plus de jeunes à nos côtés ». Enfin, lorsque l’on évoque le moment le plus marquant de ces deux semaines, elle pense qu’il n’a pas encore eu lieu. Elle espère juste que « ce ne sera pas un truc trop déprimant, que je ne vais pas m’effondrer en larmes devant la version définitive du texte. »

Nous l’espérons aussi, même si à ce stade nous n’avons guère plus beaucoup d’illusions. Réponse dans quelques heures.