Pourquoi de nombreux agriculteurs et agricultrices ne parviennent pas à vivre dignement de leur travail, alors qu’ils et elles nous nourrissent ? A cette question vitale, au cœur de la crise sociale et environnementale que traverse le monde agricole, le gouvernement n’a toujours pas répondu, préférant s’attaquer aux normes écologiques et privilégier l’agro-business, sans se pencher sur les causes profondes. Les responsables de cette crise agricole sont pourtant connus : l’industrialisation massive de notre système de production et les politiques commerciales ultra-libérales menées depuis des décennies.

Agriculture

[Action] Voici les VRAIS coupables de la crise agricole

Pourquoi de nombreux agriculteurs et agricultrices ne parviennent pas à vivre dignement de leur travail, alors qu’ils et elles nous nourrissent ? A cette question vitale, au cœur de la crise sociale et environnementale que traverse le monde agricole, le gouvernement n’a toujours pas répondu, préférant s’attaquer aux normes écologiques et privilégier l’agro-business, sans se pencher sur les causes profondes. Les responsables de cette crise agricole sont pourtant connus : l’industrialisation massive de notre système de production et les politiques commerciales ultra-libérales menées depuis des décennies.

Afin de dénoncer les vrais coupables de la crise agricole, nous avons mené ce matin des actions simultanées dans six villes de France, ciblant des groupes de l’industrie agro-alimentaire, de l’agrochimie, des semences et de la grande distribution, ainsi que le syndicat agricole majoritaire. Autant de symboles d’un système qui profite des accords de libre-échange et appauvrit les agriculteurs et agricultrices, au détriment de notre santé et de notre environnement.

Qui sont les coupables de la crise agricole ? Voici 5 exemples très concrets de ce système agro-industriel que nous pointons du doigt : LDC, Avril, Bayer, Lactalis, E.Leclerc et la FNSEA.

LDC, le géant de la volaille qui plume les éleveurs

Son nom est peu connu, mais il contrôle 40 % du marché de la volaille en France ! Propriétaire entre autres des marques Le Gaulois et Maître Coq, LDC contractualise près de la moitié des éleveurs de volailles de chair en France, possède des abattoirs, fabrique de l’alimentation animale, etc. Ce groupe tout-puissant dans ses zones d’implantation est capable de priver les éleveurs de débouchés alternatifs. Avec son système industrialisé, LDC relègue l’éleveur au rang de « sous-traitant », une vraie source de mal-être.

Ce géant du poulet développe aussi ses activités en Belgique, au Royaume-Uni et en Pologne, n’hésitant pas à recourir aux importations. Lors d’un barrage autoroutier en France, des éleveurs ont découvert dans un camion des poulets polonais importés pour LDC. Une vraie poule aux œufs d’or : LDC a généré 5,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022, soit une hausse de 8 % par rapport à 2021. La fortune de la famille Lambert, cofondatrice du groupe, est quant à elle estimée à 825 millions d’euros.

Avril, le gros poisson de l’agro-industrie

Cinquième groupe agro-alimentaire français, Avril est le parfait exemple du savant mélange d’intérêts économiques, financiers et politiques dans le secteur agricole. Le président du conseil d’administration de ce mastodonte agro-industriel n’est autre qu’Arnaud Rousseau, récemment mis sur le devant de la scène en tant que président du syndicat agricole majoritaire, la FNSEA (voir plus bas).

On est loin, très loin de la petite exploitation paysanne. Cette multinationale réalise plus de la moitié de son chiffre d’affaires à l’étranger, via de multiples activités : production d’aliments, chimie, énergie, agrocarburants, finance… En France, le groupe est numéro 1 sur le marché des huiles végétales (via ses marques Lesieur et Puget, entre autres) et truste 25 % des parts de marché de l’oléochimie. Son influence est donc considérable : Avril est très clairement l’un des tenants de la politique d’industrialisation de l’agriculture française qui alimente la crise du monde agricole.

Bayer, le puissant lobby des pesticides et des semences

Numéro un mondial des semences et des pesticides, Bayer est notamment célèbre pour avoir racheté Monsanto et son fameux Round Up, un cocktail à base de glyphosate, herbicide le plus utilisé au monde, classé « probablement cancérogène » par le Centre international de recherche sur le cancer de l’OMS. Non content d’empoisonner les agricultrices et agriculteurs et l’environnement, son poids commercial sur le marché des semences et des pesticides rend les exploitants agricoles dépendants de ses produits.

Bayer, c’est aussi un puissant lobby, dont les activités ont des conséquences désastreuses sur le monde agricole, la santé et l’environnement. Le géant pharmaceutique et agrochimique allemand a dépensé plus de 7 millions d’euros pour ses activités de lobbying au niveau européen sur la seule année 2022. Depuis des décennies, Bayer lutte activement pour le développement des OGM et contre l’interdiction et la réduction des pesticides, non sans un certain succès, hélas : la régulation des OGM est aujourd’hui menacée, le glyphosate a été réautorisé pour 10 ans et le projet législatif européen visant à réduire l’usage des pesticides vient d’être purement et simplement retiré…

Lactalis, la multinationale qui prend le beurre et l’argent du beurre

Les produits laitiers sont au cœur de la crise agricole actuelle. Et Lactalis (1er groupe mondial du secteur qui s’est associé au numéro 2, Nestlé, au sein de l’entreprise Lactalis-Nestlé), porte une lourde responsabilité dans la paupérisation du monde agricole. En 2022, alors que les consommateurs payaient plus cher leur litre de lait demi-écrémé, les éleveurs voyaient le montant de leur marge brute sur ce produit baisser de 4 % par rapport à 2021, tandis que les entreprises agro-alimentaires connaissaient une hausse de leurs marges brutes de 64 % et celles de la grande distribution de +188 % ! Une répartition extrêmement inéquitable constatée sur l’ensemble des produits laitiers, comme l’a dénoncé la Fondation pour la nature et l’homme dans son rapport « Éleveurs et consommateurs, grands perdants de la hausse des prix des produits laitiers ».

Près de 20 % des éleveurs laitiers vivent sous le seuil de pauvreté et sont extrêmement dépendants des subventions publiques pour survivre. Un souci que ne connaît pas Lactalis, dont le chiffre d’affaires a augmenté de 28,4 % en 2022 par rapport à 2021, grimpant à 28,3 milliards d’euros ! A cela s’ajoutent divers scandales : salmonelle dans le lait infantile, pollution des cours d’eau, non-respect des normes environnementales, dissimulations d’informations. L’entreprise, connue pour ses marques Président, Lactel ou Galbani, est qualifiée de firme « sans foi ni loi » par le média d’investigation Disclose, dans une enquête édifiante sur « l’ogre du lait ».

E. Leclerc, le leader de la grande distribution et de l’opacité

Aujourd’hui, six groupes contrôlent 90 % du marché de la grande distribution. Parmi eux, le leader E. Leclerc, avec près d’un quart de parts de marché, est devenu un acteur dominant dans la vie des consommateurs et des agriculteurs français. En 2022, le numéro 1 français a augmenté son chiffre d’affaires, mais pas sa transparence… Le groupe E. Leclerc est régulièrement soupçonné de contourner la loi française Egalim afin d’obtenir des prix plus bas des producteurs, notamment via une centrale d’achat Eurelec située en Belgique, où la loi est beaucoup plus souple.

Du haut de leur position dominante, les géants de la grande distribution n’hésitent pas à compresser les prix payés aux agriculteurs pour faire davantage de bénéfices. La rémunération des producteurs sert ainsi de variable d’ajustement, les agriculteurs allant jusqu’à vendre à perte. Également en cause : les produits importés et vendus à très bas prix dans les rayons de ces grandes enseignes. Des produits que Michel Édouard Leclerc aimerait vendre encore moins cher : il a dénoncé par le passé l’obligation d’une marge de 10 % sur les produits alimentaires venus de l’étranger, une mesure justement destinée à protéger les rémunérations des producteurs.

FNSEA, défenseur historique de l’agriculture industrielle

Avec 212 000 adhérents revendiqués, la FNSEA est le syndicat agricole majoritaire en France. Mais loin de lutter pour les intérêts et la rémunération des petits producteurs, ses dirigeants continuent de défendre le modèle agro-industriel et productiviste au service des plus grandes exploitations. Celles-là même qui touchent la plus grosse part des subventions de la Politique agricole commune (PAC) européenne. Depuis des décennies, la FNSEA assure une véritable cogestion des politiques agricoles, main dans la main avec les gouvernements successifs, luttant avec succès en faveur de l’agriculture industrielle et de l’agro-industrie, au détriment de l’agriculture paysanne et biologique, et contre des mesures environnementales.

Son actuel président, Arnaud Rousseau, est lui-même à la tête d’une exploitation céréalière de plus de 700 hectares, soit dix fois la taille moyenne d’une exploitation agricole française… En 2021, il a perçu plus de 170 000 euros de la PAC, soit 5,6 fois le montant moyen que touche une exploitation agricole en France. Il est par ailleurs président du Conseil d’administration du groupe agro-industriel Avril (voir plus haut).

Face aux responsables de la crise agricole, que faire ?

Si les coupables sont connus, les solutions le sont également pour sortir de cette crise agricole, permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail et protéger la santé et l’environnement de toutes et tous.

Plusieurs mesures nous semblent aujourd’hui indispensables pour répondre aux attentes des agriculteurs concernant leurs rémunérations, les accompagner dans la transition écologique et transformer durablement le secteur agricole. Il faut notamment :

  • Mettre un terme aux Accords de libre-échange, en réexaminant les accords en vigueur et en instaurant un moratoire sur les négociations en cours (notamment entre l’Union européenne et le Mercorsur, et avec le Chili).
  • Mettre en place un prix plancher, c’est-à-dire l’interdiction de la vente de produits agricoles en-dessous des prix de revient (incluant coûts, rémunération du travail et cotisations).
  • Encadrer les marges des transformateurs et de la grande distribution, pour une meilleure répartition de la valeur.
  • Instaurer un prix minimum d’entrée des produits importés, particulièrement pour les filières les plus en difficulté, pour faire face aux importations déloyales sur les plans sociaux et environnementaux.
  • Réformer la Politique agricole commune (PAC) européenne, notamment afin de flécher l’argent public en priorité vers les agriculteurs les plus vulnérables, les exploitations d’agriculture biologique et vers l’accompagnement à la transition agroécologique.
  • Augmenter massivement l’accompagnement des agriculteurs dans la transition agroécologique. Les normes environnementales et la réduction des pesticides sont nécessaires, tant pour la santé des agriculteurs que pour celle des consommateurs ou la préservation de la biodiversité. Il faut donc les maintenir et aider les producteurs dans leur mise en œuvre.

 

Pour en savoir plus sur les causes et les solutions face aux difficultés des agriculteurs : La crise agricole (et comment en sortir) en 4 questions

 

Crédit Photo : ©Micha Patault 2024